
Ultimatums, menaces, ripostes verbales se succèdent entre Washington et Moscou, agitant même l’épouvantail nucléaire… En Ukraine, les armes montent en puissance dans une guerre de plus en plus totale qui vise autant les civils que les objectifs militaires… À Gaza, les positions idéologiques des extrémistes des deux bords rendent impossible une résolution pacifique du conflit et c’est la population civile qui en est la principale victime dans une guerre de la faim où l’horreur n’a plus de limites…
Alors, face à ces escalades infernales que personne ne semble en mesure d’arrêter, se pose la question : Sommes-nous en train d’assister à cette « montée aux extrêmes » dont parle l’anthropologue français René Girard (1923-2015) dans ses écrits ?

(Les réflexions ci-dessous sont tirées d’un article de Pascal AUSSEUR « Sommes-nous en train de monter aux extrêmes ? » publié dans Message de Galilée N°286 – Avril-Mai-Juin 2025.)
Le risque de « montée aux extrêmes »
Deux scénarios sont possibles pour l’humanité : une humanité progressivement rassemblée par le respect et l’amour du prochain ou une violence croissante, généralisée et sans limite. En 2007, René Girard et Benoît Chantre publient un livre intitulé « Achever Clausewitz ».
Prussien né en 1780 et mort en 1831, Karl von Clausewitz a écrit « De la guerre », un livre considéré comme fondamental par tous ceux, militaires comme philosophes ou hommes politiques, qui réfléchissent à ce qu’est la guerre, sa stratégie, sa place face à la politique. C’est un ouvrage posthume, dont les manuscrits ont été rassemblés par son épouse. Selon Clausewitz, le 18è siècle, c’était « la guerre en dentelles », les guerres des rois et de leur armée pour conquérir une province, et qui ne concernait finalement que les militaires. Cette époque est révolue. En cette fin du 18è siècle, la guerre est devenue la guerre des peuples. Entré à 12 ans à l’armée, Clausewitz a directement connu les guerres contre la France révolutionnaire. La Révolution française a inauguré la levée en masse : si la nation est en danger, tout citoyen doit faire la guerre, être prêt à donner sa vie pour défendre la patrie menacée. Une armée de citoyens doit épauler l’armée de métier. Clausewitz va consacrer toute sa vie à la guerre. Il va combattre, mais aussi réfléchir à ce qu’est la guerre et à la meilleure manière de la faire.

La guerre selon Clausewitz
De la guerre se présente comme un ouvrage de stratégie. Son expérience de la guerre a permis à Clausewitz d’être le témoin d’une évolution majeure de la nature de la guerre : la guerre est devenue une guerre de tous. Nous trouvons dans l’ouvrage de Clausewitz l’expression : « aller aux extrêmes ». Pour René Girard, ce que Clausewitz veut dire, c’est que les guerres tendent vers ce point ultime, cette montée aux extrêmes : abattre l’adversaire, le contraindre à faire notre volonté, ou même le détruire. Dans la guerre, nous voulons imposer notre loi. Clausewitz a connu les guerres révolutionnaires et napoléoniennes. Il sait ce dont il parle quand il évoque la mobilisation des masses. Tout un peuple est mobilisé contre l’ennemi qu’on lui construit. La guerre est comparée à un duel. Le duel est caractérisé par l’usage illimité de la force. Il est aussi caractérisé par son but final : désarmer l’autre, le soumettre, le tuer. ]e veux abattre l’adversaire et tant que je ne l’ai pas fait, je crains qu’il ne m’abatte. Je suis poussé à toute extrémité, tout comme je pousse mon adversaire à toute extrémité. Toute action de ma part engage une réaction de l’adversaire et ainsi à l’infini. Nous sommes pris dans un engrenage qui conduit aux extrêmes. L’horizon de la guerre est caractérisé par la mort violente.
L’enchaînement de la violence
Selon Girard, l’affrontement de deux armées rentre dans la logique des relations humaines. Les ennemis se ressemblent de plus en plus. C’est le tous contre un, en l’occurrence ici l’adversaire désigné, qui permet une fusion efficace de l’ensemble du groupe et doit aboutir à la destruction de l’adversaire qui lui aussi mobilise l’ensemble de son groupe et lutte à mort pour éliminer son adversaire. Tout geste implique une réponse, tout acte criminel suscite des représailles. Il y a un jeu de la défense et de l’attaque qui amène à une réciprocité dans la guerre et à une montée de la violence, un déchaînement sans fin de la violence. Ce que chacun veut, c’est détruire l’autre, quitte à risquer d’être détruit lui-même.
Le désir mimétique et l’apport du christianisme
C’est par l’imitation que l’enfant est entraîné dans le système relationnel. Il faut prendre conscience de la réalité de l’imitation, avec son côté négatif -le désir mimétique marqué par la rivalité -, mais aussi son côté positif avec la transmission du savoir et de la culture. Pour René Girard, le côté positif de l’imitation se manifeste aussi du point de vue religieux. Prendre conscience du désir mimétique qui anime chaque homme, c’est se poser la question de savoir qui nous voulons imiter. L’imitation positive, c’est l’imitation de Jésus-Christ. Aimer Dieu, c’est choisir d’imiter Son visage, Jésus-Christ. C’est aimer ses ennemis, prier pour ceux qui vous persécutent, plutôt que de tout faire pour les exterminer. Aimer son prochain comme soi-même, c’est ne pas vouloir être l’autre, c’est s’accepter soi-même et accepter l’autre tel qu’il est.

Le judéo-christianisme, pour Girard, c’est le refus de la religion sacrificielle où le conflit est résolu par le sacrifice d’une victime « bouc émissaire », et la révélation d’une divinité qui refuse la violence humaine. Le Christ, Dieu fait homme et victime volontaire, nous oblige à regarder en face la violence destructrice que nous ne voulons pas voir. Nous aurions pu comprendre cela tout seuls, mais nous ne l’avons pas compris sans Lui. La Bible est une longue sortie du religieux violent ; les victimes sont désormais clairement reconnues comme victimes innocentes : là est l’apport définitif du christianisme.
Achever Clausewitz, c’est lever un tabou, c’est voir que la spirale de la violence aboutit à la destruction des adversaires. Pour Girard, il faut réveiller les consciences endormies.
P.A.
… Ce « réveil des consciences » semble bien difficile dans le contexte actuel où l’on assiste de plus en plus à des surenchères agressives dans un monde qui se réarme massivement. Pourtant, il y a des contre-exemples comme l’association israélo-palestinienne des « Combattants pour la Paix » (https://cfpeace.org/), qui regroupe d’anciens combattants israéliens et palestiniens qui ont joué un rôle actif dans la spirale de la violence : les israéliens comme soldats de l’armée Tsahal et les palestiniens engagés dans la lutte violente de libération palestinienne. Après avoir brandi leurs armes pendant tant d’années et s’être vus à travers la seule mire des fusils, ils ont décidé de déposer les armes et de lutter ensemble pour la paix.

Le 7 octobre 2023 et les événements qui ont suivi auraient pu faire basculer ces anciens combattants dans la récidive ; pourtant, à l’image des deux directrices du mouvement, la Palestinienne Rana Salman et l’Israélienne Eszter Koranyi, les « Combattants pour la Paix » ont rempilé dans la non-violence. Durement éprouvées par l’attaque du 7 octobre et la guerre de Gaza qui a suivi en bouleversant la réalité du conflit, les deux femmes et leur organisation ont affronté le choc en pleine conscience et relèvent le défi d’être porteuses d’espoir dans la période présente. En fin de compte, cette attitude a conduit de nombreuses nouvelles personnes à découvrir l’organisation : « Beaucoup ont réalisé que les deux parties sont piégées dans ce cycle de la violence et que le guerre n’a de bonne issue pour personne », explique Koryani. Mais il a fallu faire un gros travail sur le plan émotionnel… « il est difficile d’endurer la douleur des deux côtés, mais nous savons que c’est le chemin. Reconnaître et partager la douleur et le deuil des autres peut seul aider à guérir les blessures. »
« La guerre n’apportera ni paix, ni liberté, ni sécurité à qui que ce soit. C’est notre expérience personnelle et c’est ce que nous affirmons depuis des années. Nous croyons en la possibilité d’un avenir différent sur cette terre, sinon nous ne ferions pas ce que nous faisons. Dans le monde, il existe de nombreux conflits, y compris des conflits qui ont été transformés ou surmontés : nous pensons par exemple à l’Afrique du Sud et au régime d’apartheid… »
Le chemin vers la paix est assurément long et difficile, il est essentiel de ne pas avoir de vision partisane en diabolisant l’un ou l’autre « camp » : avant tout, il s’agit de personnes comme vous et moi, empêtrées dans cet engrenage infernal qu’il faut briser en tendant la main… Que partout s’envolent des millions de colombes pour préserver l’espoir des enfants !
Le Ploumtion
Source : https://www.terresainte.net/2025/03/israel-palestine-les-combattants-pour-la-paix-ne-renoncent-pas/ (Le site https://www.terresainte.net fourmille d’informations utiles sur la situation en Terre Sainte. Il est possible de s’inscrire pour recevoir la lettre d’information envoyée chaque semaine par courrier électronique.

