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Éric Brunet : « Mesdames Messieurs, sans plus attendre nous accueillons sur ce plateau Laurent Alexandre. Merci mon cher Laurent Alexandre de nous rejoindre asseyez-vous. Bonjour Laurent Alexandre, vous êtes un penseur ; il va falloir que vous assumiez ce statut. Vous êtes un intellectuel, vous êtes également un serial entrepreneur, un chef d’entreprise ; vous êtes surdiplômé : vous êtes médecin, énarque, et vous êtes depuis quelques années un penseur du futur. Tiens c’est pas mal, ça vous irait : vous pensez le futur, vous pensez l’intelligence artificielle et votre voix est assez puissante. Et là, vous venez de sortir un livre dont on va voir la couverture dans un instant : « Ne faites plus d’études », livre qui ne cadre pas du tout avec votre profil : encore une fois vous avez fait médecine, vous êtes chirurgien urologue, vous êtes HEC je crois, et vous avez fait Sciences Po et l’ENA. Comment vous pouvez dire aux braves téléspectateurs d’LCI qui vous regardent, vous le surdiplômé : « Ne faites plus d’études » ?
Laurent Alexandre : « J’ai 65 ans : je suis d’un autre monde, une autre époque et donc le cursus que j’ai eu ne correspond plus à l’époque actuelle. Ce que l’université apprend aujourd’hui ne correspond pas aux besoins à l’ère de l’intelligence artificielle, et on ne se rend pas toujours compte. J’ai écouté votre débat sur le permis de conduire des seniors : On n’a pas parlé du fait que les voitures 100% autonomes sont en train de se multiplier aux Etats-Unis et donc le problème des vieux va se régler tout seul – même les vieux les plus impotents vont, grâce à la voiture 100% autonome totalement sécure, pouvoir à la campagne circuler sans écraser des gens et produire des accidents dramatiques comme la jeune madame D. a été la victime il y a quelques années. »
Éric Brunet : Alors vous dites [dans votre livre] : le déclassement de l’intelligence humaine par l’intelligence artificielle provoquera sans aucun doute un séisme dans le monde de l’emploi. L’intelligence, aujourd’hui, c’est un produit rare. Les élèves brillants, les jeunes très intelligents sont rares, on se les arrache dans l’entreprise mais vous dites que finalement avec l’IA l’intelligence va être à la portée de n’importe quel idiot ? »
Laurent Alexandre : « L’intelligence va être disponible quasiment gratuitement et on a un énorme problème qui est un problème politique, moral, sociétal. Au moment où nous parlons, la Silicon Valley est en train d’investir 2 900 milliards pour l’éducation des intelligences artificielles. Les éducateurs de l’intelligence artificielle, c’est-à-dire les développeurs informatiques qui gèrent les grands modèles comme ChatGPT ont maintenant des salaires qui parfois dépassent 1 milliard de dollars ; on a des salaires entre 1 et 3 milliards de dollars le spécialiste de l’intelligence artificielle ! Ces salaires sont donnés aux gens qui éduquent le mieux les intelligences artificielles – à côté de ça, on ne met pas d’argent, on met pas de moyens sur l’école, l’université qui est en jachère complète et sur la formation professionnelle des adultes qui a des méthodes des années 1950. Donc, on est un peu masochiste, on est vraiment un peu con pour le dire crûment : On met des moyens illimités pour éduquer l’IA et on met très peu de moyens pour éduquer le cerveau de nos enfants. Et on se retrouve dans un système où l’éducation est en complet décalage. Prenons l’exemple de mon métier, la médecine : L’IA, pour faire un diagnostic, est 4 fois meilleure que les médecins ; ChatGPT est 4 fois meilleur qu’un médecin pour faire un diagnostic, mais le plus dramatique, c’est que l’intelligence artificielle ChatGPT plus un médecin, ça fait beaucoup moins bien les diagnostics que l’intelligence artificielle sans médecin. ça veut donc bien dire que la faculté de médecine aujourd’hui produit des médecins très inférieurs à l’IA, mais surtout qu’ils ne sont pas complémentaires de l’IA. Or, si, quand on rajoute un médecin à l’IA, on diminue les résultats par rapport à l’IA seul, on va pas l’accepter, ça n’est pas moral : On ne peut pas accepter de diminuer les chances des malades quand on rajoute un médecin à l’intelligence artificielle. Donc il faut reconcevoir les études de médecine, et il est indispensable que dans le futur ChatGPT plus médecin ce soit mieux que ChatGPT tout seul. Alors qu’aujourd’hui c’est le contraire – c’est un bon exemple du fait que l’université est complètement à la ramasse par rapport à l’évolution technologique. »
Renaud Pila : « L’intelligence humaine il faut jamais la mettre de côté, c’est-à-dire que vous parlez de ChatGPT aujourd’hui qui est meilleur pour faire un diagnostic qu’un médecin humain, sauf que dans la médecine – vous êtes sans doute mieux placé que moi pour le savoir – c’est le côté humain qui fait que vous avez un bon diagnostic. »
Laurent Alexandre : « Vous vous trompez complètement : toutes les études montrent que ChatGPT est deux fois plus empathique que les médecins ; et si vous avez un cancer et que vous voulez parler de vos métastases avec votre cancérologue à trois ans heures du matin, ça va très très mal se passer ! Avec ChatGPT, si vous l’appelez à trois heures du matin, vous pouvez discuter de vos métastases toute la nuit avec lui… »
Renaud Pila « Mais pour palper un corps, mon médecin il me dit que c’est un vrai métier, et lorsqu’on a mal au dos, mal quelque part, la prostate… il palpe, il palpe tout le temps et il dit : C’est mes mains ! ChatGPT, il va faire comment pour nous palper ? »
Laurent Alexandre : « Alors il y a plein d’examens qui remplacent la palpation ; il y a plein de techniques qui vont progressivement remplacer les examens : Je vous rappelle qu’avant, le diagnostic des maladies de coeur on le faisait avec le stéthoscope ; l’échographie l’a remplacé. ça va se multiplier, mais le problème principal, il est d’éviter d’avoir une gilet-jaunisation généralisée de la société, c’est-à-dire de produire des millions et des millions de gilets jaunes, avec plein de jeunes qui arrivent sur le marché du travail et qui sont moins bons que l’IA, et surtout, ce qui est plus grave, pas complémentaire de l’IA. Il faut à la jeune génération, pour être efficace à l’ère de l’IA, pour avoir une dignité par le travail, qu’il y ait plusieurs conditions : la première, il faut bosser ! De penser qu’en étant une grosse feignasse on va être complémentaire de l’IA en 2030, c’est se foutre le doigt dans l’oeil jusqu’au coude ! Or la nouvelle génération, on lui a appris à servir de l’IA pour moins travailler. Il y a un chiffre terrible en Angleterre : 88% des étudiants anglais utilisent ChatGPT pendant les examens écrits avec les surveillants qui laissent faire. C’est vous dire ! Donc on apprend aux jeunes générations à glander au lieu de se servir de l’intelligence artificielle pour faire mieux.

Donc, première chose, il faut travailler. Deux, il faut avoir de la culture générale : à l’ère de l’IA, ce qui est essentiel, c’est la culture générale. On va pas dépasser l’IA en médecine ; on va pas dépasser l’IA en droit ; en revanche, si on est multidisciplinaire et qu’on a une bonne culture générale notamment une culture historique, on comprendra mieux les évolutions du futur et on pourra surfer sur la vague technologique. Donc la culture est essentielle ; et notre deuxième conseil c’est : Lisez des livres d’histoire si vous êtes jeune, et si vous êtes parent, obligez vos enfants à lire des livres d’histoire. Parce que c’est une partie de la culture générale mais surtout, le fait de comprendre le passé permet d’imaginer le futur. On ne peut pas se projeter dans le futur quand on ne connaît pas le passé. La capacité à avoir une pensée prospective, à imaginer comment le marché du travail va évoluer, tout ça, ça dépend de la culture historique. La compréhension du futur vient de la bonne connaissance du passé. Deux derniers points : Il faut bien sûr apprendre à être orchestrateur des IA. Le principal métier de demain, c’est d’être chorégraphe des IA, orchestrateur des IA ; donc il faut apprendre aux jeunes à bien se servir des différentes briques de Lego que sont les différentes IA et à les mettre ensemble pour faire mieux avec l’IA que sans l’IA. Vous voyez qu’il y a un chemin pour que nos enfants soient complémentaires de l’IA et trouvent une place, mais ça suppose une refonte complète de la façon dont on apprend. »
Valérie Nata : « Je voudrais faire un tout petit pas de côté par rapport à que vous dites : Il faut faire de l’histoire, de la culture générale… Un peu d’éthique ne serait pas non plus inutile ! Je lisais ce matin un papier passionnant dans Le Parisien sur un jeune qui s’est radicalisé grâce à l’IA et qui disait : « C’est formidable [l’IA], jamais il dit ’’c’est pas bien’’, jamais il me dit ’’c’est mal’’ ; mais il me dit comment faire des bombes qui permettent de tuer. » Il demandait comment faire pour tuer le maximum de gens, et ChatGPT lui répondait, et ne disait jamais : ’’Ne le fait pas, c’est pas bien’’ et caetera. Donc, avec tout ce que vous avez expliqué, j’entends bien, c’est formidable – avec un peu d’éthique, franchement, c’est un peu mieux ! Et je ne suis pas sûre que l’IA soit forcément la plus éthique des technologies… »
Laurent Alexandre : « Je n’ai pas dit qu’il faut pas d’éthique, mais on voit bien aujourd’hui qu’on commence à avoir un problème sur le marché du travail des juniors : Toutes les courbes dans le monde entier montrent qu’on a un décrochage de l’emploi des juniors, et d’ailleurs ce problème est tellement important que la FED, comme argument pour baisser ses taux d’intérêt, vient de déclarer que c’est à cause de l’IA, parce que l’IA entraîne une crise du marché des juniors. La FED envisage de baisser ses taux d’intérêt pour contrer les effets néfastes de l’intelligence artificielle sur l’emploi des juniors parce qu’on commence à automatiser les postes de juniors dans les entreprises : Vous avez vu que Amazon a pris la décision de supprimer 30 000 emplois et de mettre 600 000 robots humanoïdes à la place des gens dans les entrepôts ! Comment faire alors pour rendre l’IA plus éthique ? Alors on peut toujours trouver des exemples négatifs et on peut toujours bidouiller l’IA pour qu’elle raconte des horreurs – globalement l’IA raconte peu d’horreurs ; elle ne permet pas de fabriquer des bombes en général. On peut contourner mais c’est rare, et toute façon, si vous voulez la recette d’une bombe, vous avez plus simple que ChatGPT : sur le dark web il y a tout ! Il y a hélas toutes les recettes. »
Éric Brunet : « Alors moi, ce que je trouve fascinant avec Laurent Alexandre : j’ai l’impression qu’on a fait venir quelqu’un qui habite en 2040-2050 sur la planète, et qui vient nous dire : « ah bah, voilà, je suis en 2025, retour vers le passé, je vous avais dit de faire ça ; et bien moi je suis venu vous voir pour vous dire : voilà ce qu’il faut faire et si jamais on le fait pas, ça fait longtemps que je le dis, ça serait une catastrophe absolument. » Honnêtement, je vous conseille vraiment de lire ce livre – je suis honnête, je n’ai pas encore lu mais j’ai lu des extraits, et puis je vous écoute et c’est absolument fascinant… Moi, il y a une question que je me pose, une question philosophique : Karl Marx voulait libérer l’homme du travail ; c’est ça le marxisme, c’est libérer l’homme du travail aliénant. Cela renvoie aussi à certains penseurs libéraux qui disaient que nous ne sommes pas sur terre pour travailler ; nous sommes sur terre pour penser, pour avoir du plaisir et du désir. Et l’IA, si on regarde dans les prochaines années (mettons 2040-2050), ça sera pas une ‘aide à l’économie’ : l’IA, ça sera l’économie ! L’économie, ça sera l’IA, et effectivement, lorsque vous avez une entreprise comme Amazon qui a commencé par tuer le petit commerce – premier effectif qu’il coule ; 2ème effet de lame de rasoir : le choc c’était aux Etats-Unis, 20 000 suppressions d’emploi, c’est Amazon, et comme le dit le PDG qui est un fan de l’IA, il dit : dans les 5-6 ans en gros, toutes les fonctions support seront supprimées, sachant que déjà – regardez les reportages sur YouTube- : sur les entrepôts il n’y a plus que des robots. Il y a une personne qui regarde, et que des robots qui prennent les trucs qui avancent, qui prennent les caisses, qui les ouvrent, qui les vident… Donc, Laurent Alexandre, vous qui êtes un prospectif en chef, comment on va faire pour sauvegarder l’emploi dans les 30 prochaines années avec l’IA ? Les journalistes aussi, dans une grande agence de presse dont je ne citerai pas le nom, me disent que l’IA est en train de tout révolutionner ; ils disent : les dépêches sont mieux faites par l’IA que par nous-mêmes ! Donc elle est partout y compris dans les métiers de la création… »
Laurent Alexandre : « On a posé une grande question. On a deux chocs : On a le choc de l’intelligence artificielle qui est en train de nous dépasser, et on a le choc de la robotique. La robotique galope à une vitesse qu’on ne soupçonne pas, et on va avoir des robots non pas cons, on va avoir des robots super intelligents. Vous avez probablement vu que le conseil d’administration de Tesla s’apprête à donner une prime de 1000 milliards de dollars à Elon Musk s’il arrive à développer les robots hyper intelligents de la gamme Optimus fabriqués dans les usines Tesla [cela vient d’être approuvé par le CO de Tesla, ndlr.] : 1000 milliards de dollars s’il arrive à faire des robots super intelligents remplaçant les ouvriers, les techniciens, les employés de maison, etc. etc. Donc, on a un choc sur les cols blancs, on a un choc sur les cols bleus. Il faut donc inventer les métiers de demain et il faut une transformation radicale de l’école, parce que l’école et l’université sont basées sur un modèle du passé. Vous avez des formations – c’est un secret pour personne -, vous avez par ex. un master en sociologie : eh bien aujourd’hui c’est une tâche sur le CV, il vaut mieux la retirer : tout le monde sait que c’est un mauvais signal. Comme beaucoup de cursus, c’est totalement inadapté au nouveau monde de l’économie. Donc il y a une reconfiguration complète de l’école [à implémenter].

Il faut aussi revoir l’enseignement supérieur et la formation professionnelle des adultes. Il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui, les patrons commencent à moins former leurs salariés parce que comme l’a montré l’OCDE, la durée de vie d’un savoir est passée de 30 ans à 2 ans. Quand vous formez un salarié, avant, ça lui servait pendant 30 ans ; maintenant ça lui sert que pendant 2 ans. Donc avec l’accélération liée à l’intelligence artificielle, en réalité les entreprises vont moins former leurs salariés, et donc il faut une réflexion globale sur tout le système de formation. Il faut décapiter le ministère de l’université et le ministère de l’école ; il faut une transformation radicale de la façon dont on gère l’école et l’université…. »
Magali Lunel : « Qu’est-ce qu’il y aura comme métiers en 2040 ? Il n’y aura pas de métiers pour tous… »
Laurent Alexandre : « Il y a des milliers de métiers à inventer ! La mort du travail n’est pas n’est pas à l’agenda, si on réforme radicalement l’éducation si on met à la tête de l’éducation nationale quelqu’un qui sait, qui connaît bien les problématiques de l’IA, alors qu’on a en général des gens qui sont des burnes en technologie. il y a un chemin à trouver pour sauver le travail et la dignité [humaine]. Je me permets en tant que médecin un commentaire. La mort du travail vu par Marx, c’est sympathique ; mais je peux vous jurer une chose : les ventes de Prozac vont exploser. Parce que l’inactivité conduit à la dépression, et la dépression, au Prozac ; et donc je ne veux pas d’une société dans lequel on a une masse énorme de pauvres gens qui n’ont pas de boulot, qui n’ont pas de dignité par le travail, et qui prennent leur cachet de Prozac tous les matins parce qu’ils n’ont plus d’activité professionnelle. ce serait la pire des choses qu’on pourrait faire à la société française, c’est d’aller vers une société sans travail où il n’y a que l’IA qui travaille et où les gens glandent chez eux sous perfusion d’antidépresseurs. »
Éric Brunet : « Alors Laurent Alexandre, le titre de votre livre est « ne faites plus d’études ». Mettons-nous dans l’hypothèse où vous auriez aujourd’hui trois enfants, des triplés, deux filles et un garçon qui auraient 13 ans. Ils auraient 13 ans et ils seraient dans le système éducatif français dans un collège où vous voulez, à Blois voilà, et qu’est-ce que vous feriez : Trois enfants de 13 ans aujourd’hui, compte tenu de ce que vous nous dites, ‘’ne faites plus d’études’’, oui que feriez-vous ? »
Laurent Alexandre : « Alors dans le bouquin ‘’ne faites plus d’études’’, il y a un chapitre qui dit : Il y a des exceptions. Je pense, comme le Financial Times et les économistes, que quand on a accès à un cursus universitaire sélectif de haut niveau, il faut y aller : c’est la conclusion d’un grand dossier du Financial Time. Si votre gamin est pris dans les 20 meilleures universités mondiales, envoyez-le dans ces universités d’exception ; sinon réfléchissez bien. Et bien, moi je me suis posé la question pour mon petit dernier. Mon petit dernier, bon comme on le dit à l’école, comme on dit dans le bouquin avec Babo [coauteur du livre], si vous si vous si votre gamin est pris à Polytechnique à Normale sup ou à Cambridge ou à Harvard, vous l’envoyez. Mon petit dernier il a été pris à Cambridge je ne l’ai pas découragé de faire Cambridge, il fait des sciences à Cambridge.
Magali Lunel : « Ce n’est pas donné à tout le monde… »
Laurent Alexandre : « Nous sommes bien d’accord. Vous avez accès pour vos gamins à un cursus d’exception : vous l’envoyez ; sinon, vous le formez à bien comprendre l’IA, à beaucoup travailler, à faire mieux avec l’IA que sans l’IA, et vous insistez sur le principal asset intellectuel du futur qu’est la culture générale. il n’y a que la culture générale qui permettra… [de maîtriser l’IA]. »
Magali Lunel : « Je suis désolée, je suis incapable de former ma fille à l’IA. Incapable. À ce que vous venez de dire… »
Laurent Alexandre : « Excusez-moi : Il s’agit pas de faire de l’informatique, il faut simplement l’aider à ce qu’on appelle le prompting qui sert à poser les questions à ChatGPT et à l’aider à développer son raisonnement en posant une succession de questions à l’intelligence artificielle. »
Magali Lunel : « Ça non plus, vous le savez très bien, il y a plein de familles qui rentrent chez elle à 20h, 21h, qui n’aiment pas d’aider à faire les devoirs mêmes à des enfants de CE 2, des parents qui sont pas forcément là tout le temps ; c’est pas donné à tous… »
Laurent Alexandre : « Je n’ai pas dit qu’il n’y aurait pas d’inégalité dans le monde de l’intelligence artificielle ; hélas il y en aura, mais quand vous avez la possibilité de bien apprendre aux enfants à orchestrer l’IA, à se servir de l’IA pour se magnifier, grandir, et non pas pour glander, là il y a un chemin pour nos enfants, et c’est un truc très important puisque comme je le disais, on commence à avoir des enfants qui glandent complètement dans leur cursus et qui font tout faire à l’intelligence artificielle, et ce qu’il y a pour de bon est catastrophique pour leur avenir professionnel. »
Nivin Potros : « Il y a peut-être une solution pour ne pas arriver au monde catastrophique que vous nous dépeignez : est-ce qu’on ne pourrait pas tout simplement interdire l’IA pour l’ensemble des français, pour le grand public, et la réserver à des ingénieurs, la réserver à des postes spécifiques, ce qui inciterait les jeunes à rouvrir les bouquins et à étudier. Ce serait une solution très simple… »
Laurent Alexandre : « Donc là vous proposez qu’on réserve l’IA à une toute petite élite et que les classes moyennes et populaires aient interdiction d’utiliser l’IA : c’est ce que vous proposez ? »
Nivin Potros : « Je propose effectivement que les jeunes ne fassent pas leurs devoirs sur ChatGPT mais qu’ils utilisent leurs manuels scolaires, leur intelligence, leur culture générale parce qu’effectivement, vous l’avez dit, une très large majorité des jeunes aujourd’hui, et bien ils ont cette solution de facilité sous la main : ils utilisent ChatGPT. »
Laurent Alexandre : « Ils ne pourront pas travailler sans l’IA, le problème n’est pas de travailler avec ou sans l’IA : on ne pourra pas travailler sans l’IA dans le futur. Le problème c’est de faire mieux avec l’IA que sans l’IA. C’est ça le sujet. D’interdire l’IA conduirait nos enfants directement au chômage longue durée, parce que sans l’IA on ne pourra pas être compétitif. D’ailleurs, en Chine, le président Xi Jinping vient d’obliger de rendre obligatoire l’enseignement de l’IA à partir de 6 ans dans les écoles chinoises : Donc il faut pas interdire l’IA et la réserver aux élites intellectuelles, ce serait politiquement dégoûtant, dégueulasse. Il faut que tout le monde ait accès à l’IA, il faut même subventionner l’abonnement à ChatGPT dans les familles qui n’ont pas beaucoup d’argent ; et à côté de ça il faut que l’école apprenne aux enfants à se servir de l’IA pour se grandir, et à orchestrer intelligemment les intelligences artificielles. Et, je le répète, le sujet est de bien utiliser ses outils pour faire mieux. »
Éric Brunet : « Votre livre vous l’avez écrit vous-même ou c’est l’intelligence artificielle qui l’a écrit ? »
Laurent Alexandre : « On l’a écrit avec Olivier Babeau, à quatre mains, et nous écrivons encore nos livres parce que nous pensons que nos lecteurs préfèrent encore lire du Babeau-Alexandre que du ChatGPT. J’espère que nous allons rester courageux et continuer à écrire avec Olivier Babeau nos bouquins nous-mêmes ! »

Valérie Nataf : « Je dois avouer je suis très mal à l’aise, très mal à l’aise parce que vous posez comme postulat que l’inégalité est notre avenir. Vous dites : Vous avez la possibilité d’aller dans les 20 meilleures universités du monde, ok vous y allez ; puis les autres, vous apprenez comme vous pouvez. De toute façon tout cela est très inégalitaire. Moi je ne me résoud pas à ça ; pardon, je suis sans doute une utopiste, moi aussi je viens de l’ancien monde – nous avons le même âge – je ne peux pas me résoudre au fait qu’il y aurait des gens avec, je ne sais pas quoi, des capacités particulières, un QI particulier, qui iraient dans les meilleures universités et puis les autres qu’on essaierait de sauver en les formant à l’IA. Pardon : je suis très mal à l’aise ! »
Laurent Alexandre : « Au contraire nous sommes contre une société à deux vitesses, et le livre est construit sur le fait que le système actuel conduit à l’horrible prophétie de Harari dans ‘’Homo deus’’ : des ‘dieux’ qui maîtrisent l’IA et des inutiles qui sont marginalisés, qui sont au revenu universel… Donc tout le livre est un discours de défense d’une modernisation du système éducatif : Nous constatons qu’aujourd’hui l’université n’est pas adaptée pour rendre nos enfants complémentaires, et nous indiquons dans le livre ce qu’il va falloir faire. Et ce sera très douloureux pour que l’université galope aussi vite que l’IA, sinon nous sacrifieront les enfants et je le répète la vision qui a été développé par votre voisine [Nivin Potros] où on interdit l’IA sauf aux ingénieurs et aux élites intellectuelles serait de mon point de vue la pire des choses. Il faut que même les enfants des classes populaires aient accès à l’intelligence artificielle parce qu’il n’y aura pas d’emploi si les gamins ne savent pas se servir de l’intelligence artificielle demain. »
Valérie Nataf : « Pardon, excusez-moi : ‘’même les enfants des classes populaires’’, attendez, c’est la formulation, elle est carrément choquante ! »
Laurent Alexandre : « Mais je réponds je réponds à madame qui veut limiter l’intelligence artificielle pour les mineurs. Non, non, on va pas interdire l’IA au grand public et le réserve aux ingénieurs, non, non et non ! C’est politiquement, franchement et totalement inacceptable. »
Renaud Pila : « Laurent Alexandre, qu’est-ce que vous pensez – on en débat tous les jours – qu’est-ce que vous pensez de la classe politique française et des débats actuels à l’Assemblée ? »
Laurent Alexandre : « Je pense que ma génération est dégoûtante. J’ai honte ; je pense que oui nous sommes dégoûtants : les baby-boomers ne s’occupent pas de la jeunesse. Dans le débat actuel on entend une seule chose, c’est ‘’retraites, retraites, retraites, retraites’’. Ma génération ne pense qu’à piquer le pognon des jeunes et à endetter la France. Et nos scanners de ma génération seront payés par la jeune génération. À l’Assemblée nationale, pas une seule personne n’a parlé d’université, d’éducation, d’adaptation de nos gamins à la robotique intelligente et à l’intelligence artificielle… Oui, la classe politique et ma génération sont aujourd’hui dégoutantes, il n’y a aucune réflexion sur l’avenir. D’ailleurs il y a une raison : énormément de députés n’ont pas d’enfant et ça explique en partie ce fait qu’on est beaucoup beaucoup centré à l’Assemblée nationale sur le présent et que le futur n’intéresse pas tant que cela parce qu’on n’est pas concerné quand on n’a pas d’enfant. Nos députés ont moins d’enfants que dans la moyenne. Je pense que c’est mieux d’avoir des enfants pour s’intéresser au futur. Mais c’est un autre sujet ; en revanche je pense qu’aujourd’hui il faut casser cette évolution : on peut pas laisser la classe politique ne penser qu’à ma génération de boomers et se désintéresser du futur, c’est-à-dire de nos gamins. Et la démission sur l’adaptation de nos enfants au tsunami technologique est en cours. elle est vraiment inacceptable. Et quand je dis que ma génération est dégoûtante, je le pense vraiment ; il faut qu’on se mette à penser aux jeunes générations, on ne peut pas continuer à ne pas moderniser l’école. Et en plus à faire payer par emprunt nos scanners et nos retraites par nos enfants et nos petits-enfants dans un monde bien difficile et dangereux où ils vont avoir du mal à payer cette dette que nous accumulons pour notre Etat-providence : ce qui est d’un égoïsme absolument insensé ! Aucune génération n’a jamais fait ça à ses enfants et à ses petits-enfants. »
Éric Brunet : « Merci Laurent Alexandre d’être passé nous voir ; je rappelle le titre de votre livre : ‘’Ne faites plus d’études – Apprendre autrement à l’ère de l’IA’’. C’est iconoclaste comme Laurent Alexandre – ça décoiffe. Vous avez publié ce livre avec Olivier Babeau, l’économiste que vous avez converti à la futurologie désormais. Merci à vous d’être passé. »
LLaurent Alexandre : « Merci beaucoup. »
Transcrit par TurboScribe.ai ( : encore l’intelligence artificielle !)

