
Et voilà qu’on repasse les plats ! Chers frères et sœurs, comme moi vous avez entendu ou lu ce qui fait depuis jeudi les grands titres de la presse : L’abbé Pierre, le résistant de la dernière guerre, le député incorruptible, le défenseur des pauvres, fondateur de l’Œuvre des chiffonniers d’Emmaüs, est accusé d’agressions sexuelles par sept femmes dont une était mineure à l’époque. Même s’il ne s’agit apparemment “que” de faits qui ont eu lieu entre 1970 et 2005, c’est évidemment totalement répréhensible, inacceptable aussi bien moralement qu’aux yeux de la loi. Une icône, encore une, est tombée de son piédestal. “Déchu !” – titrait un journal.
Après les scandales d’abus qui ont éclaté ces dernières années et profondément dégradé l’image de l’Eglise, on ne peut qu’être attristé et choqué par ces nouvelles révélations, qui s’ajoutent à celles concernant un certain nombre de fondateurs de communautés religieuses ou d’œuvres sociales (pour ne citer qu’elles, les communautés des Béatitudes, de Saint-Jean, des Légionnaires du Christ, de l’Arche…). Pour toutes les personnes qui se sont engagées et consacrées dans ces communautés, c’est très très dur, car l’opprobre et la suspicion rejaillit sur l’ensemble de l’œuvre. Tous les collaborateurs ou membres des Communautés d’Emmaüs qui accueillent des milliers de personnes en situation de précarité ou d’exclusion, se sentent salis, déçus, désorientés. Mais tous quasiment souhaitent continuer à vivre leur engagement.
On peut légitimement se poser la question : Comment se fait-il que ces fondateurs, hommes de foi et d’action, ces personnalités d’envergure animées par un grand idéal, ont-ils pu tomber dans de tels comportements criminels ? Beaucoup ne comprennent pas et même chez les croyants, il s’en trouve encore pour nier que la chose soit possible, ou qui eussent préféré qu’on n’en ait pas fait état et gardé le silence. Point positif (quand même) : C’est la Fondation Emmaüs elle-même qui a ordonné l’enquête pour vérifier les accusations à l’encontre de l’abbé Pierre. L’Église a enfin décidé de ne plus se voiler la face et d’écouter les victimes. Mieux, elle a entrepris une grosse remise en question de ses fonctionnement, entre autres dans le sens d’une décléricalisation – mais il y a encore beaucoup à faire…
Car tout est encore une fois une question de pouvoir ! Comme l’écrit à propos de l’abbé Pierre le journaliste de RTL Christophe Giltay dont les sympathies pour le monde chrétien sont connues : « ces accusations sont-elles vraiment surprenantes ? »
Car en effet l’abbé Pierre tout comme ces autres “grands formats” de l’Eglise et fondateurs : Ephraïm (Béatitudes), le Père Marie-Dominique Philippe (Frères de Saint-Jean), Marcial Maciel Degollado (Légionnaires du Christ), Jean Vanier (l’Arche), sont de fortes personnalités, doués d’un charisme qui séduit et subjugue les gens à qui ils ont affaire. Un certain nombre de ces “saints” (qui heureusement n’ont pas été canonisés) ont viré dans l’autoritarisme -qui est une forme de cléricalisme- ou la manipulation plus ou moins consciente. Les colères de l’abbé Pierre sont restées célèbres, et, écrit Giltay, “comme tout homme doté de pouvoir, il exerçait sur les autres à la fois une fascination mais aussi une domination”. Sans doute que, sans ce tempérament, l’abbé Pierre et ces personnages exceptionnels n’auraient pas pu réaliser tout ce qu’ils ont entrepris… Mais de là à un jour déraper et à glisser dans d’autres formes d’abus, il n’y a qu’un pas qui malheureusement est parfois franchi. Il a aussi avoué vers la fin de sa vie qu’il n’était pas resté « clean » sur le plan de la chasteté.
Pas d’excuse donc – mais il faut cependant souligner un réel danger : tant qu’on mettra les prêtres, les évêques ou même le pape sur un piédestal, loin au-dessus des humains ordinaires, on les expose -alors que par ailleurs le bien qu’ils font est avéré- on les expose au risque de s’enfermer dans une structure mentale de pouvoir et de domination où la manipulation et les abus deviennent possible, sans même qu’ils en soient forcément conscients.
S’il est utile et souvent nécessaire d’être un leader pour que des projets d’envergure aboutissent et réaliser l’œuvre de Dieu, il est par contre très dangereux de devenir une icône, une idole. L’apôtre Paul a pu heureusement se prémunir contre ce danger -cette tentation : “Et afin que je ne m’enorgueillisse pas, il m’a été donné une écharde dans la chair, un ange de Satan pour me souffleter…” (2 Cor 12,7). Avec sa position et le caractère qu’il avait, Paul aurait fort bien pu tomber dans le piège de l’orgueil et de la séduction ; on ne sait pas ce à quoi correspondait cette “écharde”, mais en tout cas elle a dû fonctionner. Je remercie aussi moi-même toutes les personnes qui par leurs critiques me gardent dans l’humilité ! Dieu veut que son Eglise soit une Église de petits et d’humbles, de “pauvres de Dieu”, et cela y compris dans ses responsables. Une Église de frères et de sœurs. “Tutti fratelli” était d’ailleurs le titre et l’objet d’une lettre du pape François, un axe important de ses orientations pastorales.
Dernier point de mes réflexions : Je voudrais mettre en relation cet événement médiatique des accusations à l’encontre de l’abbé Pierre, avec un autre événement qui a eu autant, sinon davantage, de retentissement, en l’occurrence la toute récente tentative d’attentat contre le candidat à la présidence américaine, Donald Trump. La façon dont il a réussi à retourner en sa faveur cette agression violente est admirable : Désormais, il peut se poser en martyr de sa cause qu’il prétend être la cause de la majorité des américains, lesquels lui vouent d’ores et déjà un culte aveugle. Plus même: il se dit protégé par la main de Dieu – rien que ça ! Mais là, on a affaire à un champion de la manipulation, on joue dans la cour des grands.
N’est-ce pas fantastique qu’un type qui a trompé sa femme avec une actrice porno en la payant grassement pour s’assurer son silence, un homme qui a un nombre impressionnant de procès et de casseroles fiscales à son encontre, qui nie la validité d’élections qui ont été dûment vérifiées et a essayé de reprendre de force le pouvoir en lançant ses fidèles fanatisés à l’assaut du Capitole, que ce gars soit plébiscité et admiré par au moins la moitié de ses concitoyens ? – Avec le soutien total des Eglises protestantes évangéliques et des pasteurs, qui voient en lui un nouveau messie lequel va restaurer les valeurs traditionnelles de l’Amérique, défendre le droit des citoyens à posséder des armes de guerre, protéger le modèle de famille conventionnel (anti LGBT+, anti-droits des femmes, etc). La photo de Trump postée sur instagram par sa belle-fille, avec en arrière-plan le Christ qui pose ses mains sur les épaules de l’ex-président, illustre bien cette instrumentalisation de la religion. Cependant, je suis persuadé que Donald Trump croit vraiment lui-même dans sa mission divine.

L’abbé Pierre, lui au moins, ne s’est jamais pris pour le messie… Et son œuvre d’Emmaüs, comme celle de l’Arche et beaucoup d’autres, continue de faire du bien – sans bruit.
Abbé Bernard Pönsgen
