
Samedi dernier, la presse (francophone) était unanime pour louer le fabuleux spectacle qu’avait constitué la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques à Paris : Il n’y avait pas assez de mots pour célébrer le talent et l’enthousiasme des participants, et la mise en scène grandiose déployée par les organisateurs. Une cérémonie qui marquera l’histoire des J.O., disaient même certains. On ne peut en effet que reconnaître que, d’édition en édition dans ces « Games opening », on rivalise toujours plus dans le show qui doit impressionner et marquer les esprits – en faisant même sauter la Reine d’Angleterre (son sosie) en parachute comme ce fut le cas à Londres en 2012. Personnellement, j’apprécie plus le défilé des délégations sportives de tous les pays que les tableaux évoquant la fureur révolutionnaire de 1789 et la tête coupée de Marie-Antoinette. Je ne vois pas très bien ce que cela a à voir avec le sport… D’autres images m’ont laissé interrogatif, comme celle de ce bonhomme tout nu peint en bleu : est-il sensé représenter l’Europe ? le stroumph olympique ? Licence poétique et artistique, sans doute. Et puis sont venues les Drag Queens, qui ont donné au spectacle un peu l’allure d’une gay pride. Il en faut certes pour tous les goûts, mais avouons-le, il n’y a que la France pour oser cela.

Mais là où ça se corse davantage encore, c’est quand ces ‘dames’ ont représenté le tableau de la Dernière Cène comme l’a fait en son temps Leonardo da Vinci, mais alors franchement revisitée ! Ce détournement de la Cène ainsi que d’autres allusions visant la religion ont fait réagir l’épiscopat français, qui dans une déclaration de la CEF (conférence épiscopale) a fustigé « des scènes de dérision et de moquerie du christianisme ». Les évêques ont toutefois estimé que cette cérémonie d’ouverture « a offert hier soir au monde entier de merveilleux moments de beauté, d’allégresse, riches en émotion et universellement salués ». L’extrême droite française, elle, par la voix de Marion Maréchal (ex-Reconquête), a critiqué une vision « qui cherche à ridiculiser les chrétiens ». Un sénateur communiste des Hauts-de-Seine, Pierre Ouzoulias, a souligné lui sur X que « le blasphème fait partie intégrante de notre patrimoine républicain » et qu’il est « un trait glorieux de notre histoire révolutionnaire », remerciant Thomas Jolly, directeur artistique de la cérémonie, « de l’avoir rappelé au monde entier à travers cette Cène dont on se souviendra longtemps ».
Cela fait longtemps que je me dis qu’en accentuant volontairement les antagonismes par des provocations gratuites, on offre un boulevard aux extrémismes de droite comme de gauche !
Mais pour moi le vrai débat se situe au niveau des valeurs que le sport est sensé défendre et promouvoir : sont-elles toujours celles de respect, d’ouverture et de tolérance ? Sont-elles encore compatibles avec celles de la foi chrétienne ? Si en plus il y a récupération du sport par la politique et les groupes de pression, les idéologues… Le sport est sensé être « neutre », mais la culture ne l’est manifestement pas.
Pour aider dans cette réflexion, qui soustend aussi plus fondamentalement la question régulièrement agitée dans l’actualité en particulier depuis Charlie-Hebdo : est-il légitime de se moquer de la religion et des croyants ? – je vous propose la lecture de cet avis d’un pasteur de l’Eglise protestante unie de France, Eric Georges , intitulé : « Une Cène offensante ? » Je le rejoins très largement, tout en me demandant pouquoi ces univers, celui de la foi et celui de la culture (ou du sport) qui étaient si proches jadis, au temps de Léonard de Vinci par exemple, semblent aujourd’hui si complètement éloignés, voire opposés…

Eric Georges : Avec une représentation de la Cène, la cérémonie d’ouverture des J.O donne donc au théologien émietteur l’occasion de trahir la promesse qu’il s’était faite de ne pas parler de Jeux qui ne le concernent en rien en parlant d’autre chose que du caractère profondément religieux et liturgique de ce genre de cérémonie et du besoin de religieux et de liturgie de nos contemporains… Je ne vais donc pas me priver.
Comme souvent, je vais me concentrer sur le point de vue des lecteurs et lectrices, des spectateurs et spectatrices sur ce qu’ils et elles choisissent de voir, de comprendre et de commenter plus que sur le point de vue de l’auteur. Je ne parlerai pas du Festin des dieux (Astérix), ni même de la différence entre un tableau de Vinci et une pratique religieuse ou un passage biblique, c’est une Cène qui a été vue et commentée.
Sur un plan universaliste, au regard des droits de l’homme, des croyants chrétiens ont tout à fait le droit de ne pas aimer telle ou telle image que l’on donne de leur religion ou de leur foi, de le dire voire d’intenter des procès (ils n’ont pas le droit au vandalisme ni à la violence). Moi-même, je suis facilement blessé des images qu’on donne de ma foi, de ma religion. (Il se trouve que les images qui m’irritent viennent généralement de mes coreligionnaires, mais là n’est pas le sujet). Ce droit d’être irrité et de le dire rencontre et se heurte à un autre droit, celui de donner d’une religion une autre image que celle qu’en ont ses croyants, même une image négative. Droit contre droit, c’est donc une affaire de juriste ou de philosophe du droit, pas la mienne.
Je reste donc dans le point de vue chrétien qui est le mien (inutile donc de me dire que “et si on faisait ça avec l’Islam, blablabla”) . Et de ce point de vue chrétien, les critiques, les réactions négatives me posent deux problèmes (et les communiqués officiels d’Eglises me scandalisent bien plus que les réactions de particuliers)
Tout d’abord, il n’est pas possible d’humilier Jésus-Christ. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est le Nouveau Testament.
“Ayez entre vous les dispositions qui sont en Jésus-Christ :
lui qui était vraiment divin,
il ne s’est pas prévalu
d’un rang d’égalité avec Dieu,
mais il s’est vidé de lui-même
en se faisant vraiment esclave,
en devenant semblable aux humains ;
reconnu à son aspect comme humain,
il s’est abaissé lui-même
en devenant obéissant jusqu’à la mort
– la mort sur la croix.”
Philippiens 2, 5 à 8
Ensuite et c’est à mes yeux le plus important : pourquoi trouver la mise en scène des J.O. avilissante ? Je crois qu’en Jésus Christ, Dieu rejoint l’humanité et qu’en tout visage humain, je suis appelé à reconnaître Jésus Christ. Apparemment, pour certains, sauf dans le visage de Leslie Barbara Butch (la comédienne qui incarne le Christ dans la Cène)… Pourquoi ? Parce qu’elle est femme ? Parce qu’elle est grosse ? Parce qu’elle est lesbienne ?
Bien sûr que l’image était provocatrice, comme toute image qui offre un décalage par rapport aux représentations classiques. Mais si ce qu’elle provoque est de la répulsion plutôt que de la réflexion, c’est précisément cette répulsion qu’il faudrait interroger : quelle humanité sommes-nous en train d’exclure ?
Imaginons dans la première partie du XXe siècle une Cène figurée par des acteurs noirs. Que dirions-nous de celles et ceux qui y auraient vu une offense faite aux chrétiens ?
Imaginons, dans la deuxième partie du XXe siècle une Cène figurée par des personnes atteintes de trisomie 21. Que dirions-nous de celles et ceux qui y auraient vu une offensé faite aux chrétiens ? (NB : je n’associe pas le queer* à une maladie, j’interroge notre rapport au décalage)
On a le droit de ne pas aimer l’esthétique Drag, c’est entendu, les goûts et les couleurs…. Mais la question n’est pas celle de nos choix esthétiques…
Je ne sais pas si Thomas Joly (directeur artistique de la cérémonie d’ouverture des JO) a voulu faire de la théologie, c’est nous, chrétiens, que j’invite à en faire en lisant ses tableaux…
Que représente la Cène dans notre foi ?
Quels visages lisons-nous comme des insultes à l’humanité ?
Qui excluons nous de cette humanité rejointe par le Christ ?
à VOTRE REFLEXION !
* Pour les moins avertis => Définitions (Petit Robert) : Drag-queen = Travesti masculin très maquillé et vêtu de manière recherchée et exubérante, généralement dans le cadre d’un spectacle ; Queer = Personne dont l’orientation ou l’identité sexuelle ne correspond pas aux modèles dominants.
