SOMMES-NOUS DES BISOUNOURS ?

Choqué et interpellé par l’avalanche et le ton des informations concernant les frasques et les déclarations tonitruantes d’un certain Donald Trump, j’ai réuni dans cet article des éléments de réflexion pour pouvoir, en tant que citoyens du monde et de l’Union européenne, nous faire une idée de ce qui nous attend peut-être si nous restons indifférents à ce qui se passe ailleurs. D’abord, quelques phrases relevées ci et là :

« l’Union Européenne a été créée pour emmerder les Etats-Unis ; c’est leur but : ils ont bien réussi à le faire ! » « Ils nous traitent tellement mal, ils sont méchants ! » (Donald Trump, président des Etats-Unis)

« Un nouvel ordre mondial se met en route. On est dans le monde des hippopotames, les animaux les plus dangereux qui soient ! » (Sébastien Abis, chercheur associé à l’Iris)

« L’Union Européenne, pour Trump, est une gigantesque usine à produire de la norme. Donc, l’UE est clairement le modèle à abattre : trop sociale et à gauche, trop de régulation, trop de taxes, trop de normes… En réaction, il veut casser – enterrer l’UE ! » (Claire Fournier et Magali Barthès, éditorialistes internationales sur LCI)

« Trump abhorre tout ce qui est international, multilatéral : l’ONU et les agences onusiennes, Le TPI, l’OTAN… Il n’aime que le bilatéral : là où il peut exercer un rapport de force. » (Général J-P Paloméros, ancien commandant en chef des forces de l’OTAN)

« L’objectif à long terme de Trump est de rapatrier aux Etats-Unis l’industrie, le data et les cerveaux, les talents pour rendre à nouveau grande l’Amérique MAGA et redevenir la première puissance devant la Chine. »  (Emmanuel Véron, docteur en géographie, spécialiste des relations internationales)

« La méthode américaine : ils se sont toujours payés sur la bête. Je prends les terres rares, je prends le pétrole, je monnaie mon aide…  Aux européens d’assurer le service après-vente en organisant la sécurité de l’Ukraine. Les USA ont toujours trouvé leur intérêt, y compris quand ils sont venus se battre en Europe en 1944-45 (ex. le plan Marshall). » (entendu sur LCI)

Et enfin :

« Les Européens sont des Bisounours égarés dans Jurassic Park » (Hubert Védrine, ancien ministre français des affaires étrangères)

: Sommes-nous donc, nous les européens, les Bisounours de la real-politik du monde actuel ?

Diverses observations tendraient à le prouver. En-dehors de notre dépendance chronique et grandissante vis-à-vis des hydrocarbures d’origine américaine (après celles de la Russie), nous ne cessons depuis le 7 janvier 2025 – date de l’investiture du président des Etats-Unis Donald Trump – de prendre des claques qui nous invitent à réviser en profondeur notre conception des rapports entre les USA et le reste du monde – dont l’Europe, qui s’était réfugiée longtemps sous le parapluie-bouclier américain et que nous considérions comme un allié indéfectible.

Relevons quelques-unes de ces observations  (la plupart de ces informations proviennent du journal ’’Le Monde’’ et de la chaîne de décryptage d’actualité LCI ) :

En vrac :

  • Abandon de l’Ukraine et de ses territoires face à l’agression russe et en même temps hold-up des USA sur ses terres rares. Trump se décharge sur l’Europe pour assurer la sécurité de l’Ukraine et laisse tomber le président Zelenski tout en faisant les doux yeux à Poutine qui est un criminel poursuivi par le TPI.
  • Soutien inconditionnel à la politique de Netanyahou, le premier israélien, avec proposition par Trump de transformer Gaza en station balnéaire de luxe après en avoir déporté la population (2 millions) en Egypte et en Jordanie – Gaza, où 48.000 palestiniens ont perdu la vie sous les bombes israéliennes.
  • Déclaration d’intention par le président Trump d’acheter ou d’annexer par la force le Groenland, le canal de Panama et même le Canada.
  • Mensonge éhonté répété par Donald Trump sur le déficit de la balance commerciale entre les USA et l’UE, prétendument de 350 milliards de dollars – alors qu’il n’est que de la moitié (180 mds en 2024), pour justifier l’instauration de droits de douane de 25 % sur les exportations européennes, tout comme celles imposées au Mexique et au Canada.
  • Humiliation de la cheffe de la diplomatie européenne, Ursula von der Leyen, que Trump refuse de recevoir à la Maison Blanche.
  • L’administration Trump fait voler en éclat la régulation financière américaine mise en place après la grande crise des subprimes de 2008, en ciblant en premier lieu l’agence de protection contre la fraude financière, le Consumer Financial Protection Bureau (CFPB). Toutes les poursuites judiciaires ont été arrêtées, et les archives seront effacées. Elon Musk n’a pas caché sa satisfaction !
  • L’administration Trump va tailler drastiquement dans les programmes d’aide à l’étranger : moins 92 % de financement d’aide internationale (64 milliards de dollars), soit 5800 projets de développement et d’aide humanitaire dans le monde, supervisés par l’agence US Aid et dont dépendent de nombreuses ONG humanitaires qui vont devoir cesser leurs activités : p.ex. déminage en Colombie, éducation inclusive… des écoles vont devoir fermer, ainsi que des hôpitaux dans les camps de réfugiés ; les soins aux enfants malnutris sont interrompus…
  • Expulsion en masse des immigrés illégaux résidant sur le sol américain, qualifiés par Trump de ’’criminels’’ ; cette déportation de masse, la plus grande de l’histoire des USA, vise 12 millions de clandestins dont la majorité contribuent largement à l’économie du pays bien qu’étant sans papiers. Actuellement, plusieurs milliers auraient déjà été expulsés.
  • Expulsion des personnes transgenre de l’armée américaine ; parallèlement, le discours masculiniste qui a fait bien des émules depuis les dernières élections tranche en faveur du mouvement des « tradwifes« , qui se propage sur les réseaux sociaux, célébrant le retour aux rôles traditionnels d’épouses soumises. Donald Trump s’est également dit favorable à l’interdiction de l’avortement, de la fécondation in vitro et du contrôle des naissances.  
  • Renvoi de fonctionnaires américains par milliers grâce aux bons soins de M. Elon Musk – et même ceux qui sont chargés des contrôles sanitaires et de la sécurité alimentaire, par exemple celle des fermes de production d’œufs, victimes du virus aviaire H5 NA.
  • Prise de contrôle sur l’information via les réseaux sociaux, l’ex-Twitter acheté par Elon Musc et devenu X ; Facebook et instagram de Mark Zuckerberg qui s’est aplati devant Trump et la chaîne de télévision Fox News qui a favorisé son élection.
  • Musèlement de la presse écrite (par ex. le Washington Post acheté par un milliardaire, Jeff Bezos, opposé à toute forme de régulation économique et d’opinion divergente par rapport à la liberté d’expression débridée qui est le socle du pouvoir actuel) *. Parallèlement, l’administration Trump va changer les règles d’accès des médias à la Maison Blanche pour l’ouvrir à des journalistes uniquement sélectionnés par l’exécutif.
  • L’administration Trump aurait supprimé 8.000 pages web ayant trait à l’écologie. De plus, sur le site même de la Maison Blanche, il n’est plus possible de consulter les pages sur le réchauffement climatique ; des scientifiques américains ont également remarqué que leurs études avaient disparu.

Ces observations ne suffisent-elles pas à démontrer que pour l’actuel occupant de la Maison Blanche, le mot même de démocratie n’a aucun sens, que seule compte la force brutale, la puissance économique et militaire, et qu’il préfère traiter avec des chefs autocrates et puissants (les « hippopotames ») qu’avec des alliés historiques dont il n’a que faire ? – Son but affirmé est d’ailleurs de refaire des USA la première puissance mondiale pour dépasser la Chine qui les talonne. D’autre part, on peut se demander aussi s’il n’essaie pas de refaire le partage du monde en deux blocs comme au temps de la guerre froide, étant prêt pour cela à s’arranger avec la Russie sur le dos des petits pays européens pour qui il n’a pas de considération.

Mais Trump n’est pas seul. Il peut compter sur une très large assise électorale populaire qui partage ses idées. À la lumière de ce constat, il se pourrait bien que nous, les européens, ayons à réviser une conception des relations et du droit international qui nous paraissaient universellement évidents et acquis définitivement… en découvrant que, finalement, nous serions bien « des Bisounours égarés dans Jurassic Park », selon l’expression de Hubert Védrine.

Ce dernier, interrogé sur l’antenne de la RTBF par Thomas Gadisseux **, déclarait également que l’arrivée de Trump au pouvoir a révélé une autre facette de l’Amérique : une puissance unilatéraliste, davantage préoccupée par ses propres intérêts que par ceux de ses alliés traditionnels. « C’est un choc pour l’ensemble de ceux qui ont cru à la vision de la mondialisation heureuse, l’ensemble de ceux qui croyaient aux règles diplomatiques et multilatérales et pour la planète progressiste » – sans parler des militants de l’écologie et défenseurs du climat. Que deviendra l’Europe dans cette jungle qu’elle n’avait pas anticipée car croyant toujours en ses valeurs « universelles » de droit des nations à disposer d’elles-mêmes, de respect des lois internationales et des traités et de protection des plus faibles ?

« Les Européens, explique Hubert Védrine, ont du monde une vision très idéalisée – la communauté internationale, la Cour pénale internationale pour punir les méchants –, qui ne suffit pas tellement le monde est autre… Pour les Américains, c’est à la fois vexant, humiliant et inquiétant : pour être en sécurité, ils passent leur temps à osciller entre vouloir contrôler le monde entier et chercher à se claquemurer chez eux. […] Barack Obama, pour sa part, malgré son charme et son intelligence, avait déjà montré qu’il n’intégrait plus comme ses prédécesseurs la mission wilsonienne de démocratiser le monde – la chrétienté disait « évangéliser », ou l’Occident dit « droit-de-l’hommiser ». C’est la fin du rêve missionnaire et civilisateur des États-Unis. »

On n’est plus dans l’Amérique du 21e siècle, ni même du 20e : on est bien revenu à celle du 19e, celle du Far-West et des chasseurs de prime. La loi est celle de celui qui sait tirer le premier, ou qui possède le plus de bétail comme dans les westerns. Qu’y peuvent quelques malheureux peaux-rouges dans ce passé mythique et glorieux réinventé ?

« On n’a plus de valeurs communes. Il faut arrêter de parler d’Occident. On peut parler de la relation transatlantique. » En conclusion, sans se renier elle-même et ses valeurs en se laissant marcher dessus par les hippopotames, l’Europe doit redéfinir son positionnement dans un monde où les équilibres traditionnels sont bouleversés et s’affirmer plus que jamais en tant que communauté de nations, l’Union qui parle d’une même voix. Le moment est « historique » : l’Europe ne doit pas attendre, conclut Hubert Védrine, elle doit prendre les devants et affirmer son rôle dans le monde. Défendre ses valeurs humanistes et d’inspiration chrétienne. Ce qui ne sera pas chose aisée, vu les tiraillements qui la secouent venant d’une extrême-droite transnationale et décomplexée, encouragée par les débordements d’outre-Atlantique…

Bernard Pönsgen

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(*) Après avoir interdit à la rédaction du Washington Post (journal de centre-gauche) de soutenir publiquement la candidature de Kamala Harris, le propriétaire du prestigieux quotidien, Jeff Bezos, par ailleurs fondateur et président-directeur général d’Amazon et première fortune mondiale juste devant Elon Musk, réduit drastiquement le spectre des opinions exprimées dans le journal. Dans les pages « Opinions », il n’y aura plus que deux sujets autorisés : les libertés personnelles et les marchés libres. Toute pensée contraire, prônant une forme de régulation par exemple, sera bannie. Le responsable des pages Opinions a démissionné et parmi les milliers de commentaires outrés, certains rappellent à Jeff Bezos la devise du Washington Post : « La démocratie meurt dans l’obscurité ». Il est loin le temps où le quotidien révélait le scandale du Watergate !  (source : RTBF Actus 26.02.2025)

(**) https://www.rtbf.be/article/les-europeens-sont-des-bisounours-egares-dans-jurassic-park-hubert-vedrine-appelle-l-europe-a-se-reveiller-11510242

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