
On croit parfois que Donald Trump est tombé du ciel comme un OVNI dans une société américaine et un monde qu’on pensait globalement ouverts et résilients et dans lesquels les valeurs démocratiques paraissaient généralement acquises, à l’exception de quelques pays totalitaires et autoritaristes comme la Chine, la Corée du Nord, la Russie,…
Or, si Trump est arrivé au pouvoir, ce n’est pas par hasard. Il dispose d’une assise électorale solide, avec pour l’instant un soutien assez massif de la population qui souhaite comme lui une diminution (ou même disparition) du rôle de l’Etat « profond » lequel serait remplacé par des hommes « providentiels » à poigne dont le pouvoir ne serait plus gêné par des juges, des journalistes ou des parlementaires.
Nous pourrions dans notre petite belgitude nous sentir à l’abri de ce type de dérive anti-démocratique et populiste. Une série d’enquêtes menées auprès de la population belge contredit cette croyance : L’aspiration à un pouvoir fort n’est pas le seul apanage des citoyens américains !
-Janvier 2023 : Enquête « Noir Jaune Blues », cinq ans après le premier sondage : un belge sur deux souhaite une gouvernance autoritaire.
-Mars 2025 : Enquête « Ceci n’est pas une crise » publiée dans Le Soir : sept belges sur dix souhaitent un leader politique fort sans contre-pouvoirs ! Les belges sont aussi majoritairement demandeurs d’une société plus homogène, plus repliée sur elle-même ; quant à ceux qui désirent une société plus ouverte, ils ne sont plus que 19 % !
La question qu’on ne peut manquer de se poser est évidemment : Comment en est-on arrivé là ?
Déjà lors du premier sondage en 2017, Benoît Scheuer, directeur de l’institut de sondage Survey&action, constatait : « Nous ne faisons plus société ». « La confiance dans les institutions qui constituent les armatures de la société, s’est effondrée. Pour faire société, il faut également partager des valeurs communes. Or, souligne le sociologue, « jusque récemment, il y avait un consensus, c’était que de génération en génération, on allait vers un mieux. Et c’est pour cette raison qu’on faisait société, c’est collectivement qu’on arrivait à ce résultat-là. Aujourd’hui, c’est le sentiment que nos enfants vivront moins bien que nous qui domine. Il y a une peur de déclassement : 73% des individus pensent qu’il y a de plus en plus d’inégalités sociales en Belgique. »
Selon l’enquête, six personnes sur dix estimaient déjà en 2017 que l’offre politique actuelle ne répond pas à leurs attentes et plus largement que le système est globalement en échec.
Les Belges sont donc demandeurs d’un pouvoir fort comme le montre la dernière étude en date publiée dans Le Soir. 69% des sondés voudraient « un dirigeant fort qui appelle directement au peuple, un rejet de tous les contre-pouvoirs, de toutes représentations de toutes les élites« . Ce score est 4 points plus élevés qu’en 2023, mais surtout 17 points plus élevés qu’en 2020, lors de la première édition de ce sondage. *
Ce lundi 10 mars, j’entendais Aline Goncalves et Sophie Mergenne dans le journal de 8 heures de la Première RTBF qui commentent cette enquête :
« Sept belges sur dix affirment « subir leur vie » et ont peur pour l’avenir de leurs enfants. C’est ce qui ressort de cette étude « Noir Jaune Blues » qui prend régulièrement le pouls des citoyens, de leur leurs états d’esprit, leurs inspirations, leurs inquiétudes. Ce qui ressort, c’est qu’une majorité des belges se sent abandonnés ; ils ont perdu confiance dans le monde politique et se replient sur eux-mêmes – c’est ce qu’on observait déjà dans les précédentes vagues d’études, mais c’est encore plus marqué.
« 56 % des belges aspirent à une société du repli ; c’est 10 % de plus qu’il y a 5 ans. Ces citoyens sont en quelque sorte dégoûtés du système, ils ont perdu confiance dans les institutions. D’après Jérôme Van Ruychevelt, chargé d’analyse à la fondation « Ceci n’est pas une crise » : « Il y a une volonté d’une société plus homogène, notamment culturellement (retribalisation) ; il y a une logique d’adhésion à la rhétorique brutale, à l’attaque et à la polémique systématique ; il y a une volonté aussi de penser que « avant, c’était mieux » donc c’est la nostalgie du passé ; et avoir des logiques « boucs émissaires » c’est-à-dire voir tout ce qui est étranger à la communauté comme étant un stigmate dangereux. Aujourd’hui, sept personnes sur dix aspirent à un gouvernement autoritaire dirigé par un leader charismatique, une proportion qui augmente d’année en année. »
« Certaines organisations politiques d’extrême-droite, poursuit-il, ont aussi très bien compris comment fonctionne le cerveau humain : c’est-à-dire qu’en période d’insécurité forte, ou en tout cas de perception d’insécurité, il y a un intérêt à mettre un maximum d’angoisse pour rendre disproportionnés les dangers qui pèsent sur la société de telle manière de pouvoir faire advenir un projet plus autoritaire derrière. »
L’étude « Noir Jaune Blues » montre que la proportion de belges qui aspirent à une société plus ouverte, plus démocratique, plus diversifiée est en recul depuis cinq ans : Juste après les confinements, ils représentaient plus de 30 % de la société, aujourd’hui, seulement 19 % !
Tous les chiffres cités sont proportionnels au niveau d’étude et de culture des sondés. Plus le niveau culturel est bas, plus l’aspiration à un pouvoir fort sans contrepouvoirs est haut, et inversement ; de même le souhait d’une société moins mélangée, le recours aux boucs émissaires et l’agressivité. Les théories complotistes diffusées par les réseaux sociaux amplifient ces phénomènes.
CONCLUSION :
Les résultats de ces enquêtes ont interpellé les journalistes, le monde associatif, les sociologues… Mais nos mandataires politiques s’y sont-ils vraiment intéressés, eux qui sont les premiers concernés ? En France, le mouvement des « Gilets jaunes » connaît actuellement un réveil symptomatique. Chez nous en Belgique, il se pourrait bien que des révoltes sociales et sociétales fassent un jour prochain éclater tout le système et favorisent l’émergence d’un pouvoir fort à la sauce Trump…
Il est temps pour tous ceux (dont nous les chrétiens?) qui croient encore à une société humaniste et démocratique de se réveiller !
Bernard Pönsgen

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(*) Pour arriver à cet à index global, les experts ont mesuré cinq valeurs plus précises à travers un questionnaire (extrait du site de la RTBF) :
- Gouvernance : le souhait d’un dirigeant fort qui en appelle directement au peuple et qui n’est pas entravé par des contre-pouvoirs (des juges, des journalistes, des intellectuels, etc.). Seule compte la volonté « du peuple » incarnée par un chef qui est perçu comme comprenant vraiment le peuple, qui « nous » représente vraiment.
- Bouc émissaire : le besoin existentiel de désigner des boucs émissaires comme ennemis du peuple, comme des menaces.
- Histoire valorisée : la nostalgie d’un passé mythifié, retour à un ordre immuable, « naturel » des choses, des rôles sociaux (les hiérarchies, la loi divine). Les valeurs traditionnelles.
- Rhétorique : une rhétorique brutale qui dit mes ressentiments, ma colère avec des insultes, des menaces, des humiliations, des moqueries, des outrances, qui « dévoile » des complots.
- Nation : appel à une homogénéité, une rupture purificatrice, société fermée, ethnique, rejet de la solidarité sauf au sein du groupe primaire.
La plupart de ces scores dépassent les 50%, mais sont en légère baisse par rapport à la dernière vague de sondage. Seule la mesure aspirant à un pouvoir fort est significativement en hausse.

Tellement complexe et compétent dans cette analyse….Me sens bien petite devant ces problèmes! je me dis parfois qu’on avait des hommes politiques mieux formés et surtout plus intègres et corrects dans le temps de notre temps de jeune adulte; des politicines avec des valeurs morales et humaines…. (ou j’étais naïve). C’est démocratique des partis mais ils doivent travailler pour le pays et non pour leur parti! Merci pour ces réflexions pertinentes! (Suzanne Carabin-Diérickx)